Le samedi matin, le marché du centre de Chicago vibrait d’agitation. Les cris des vendeurs se mêlaient aux rires des enfants et aux parfums de fruits frais. Dans cette effervescence, un homme avançait d’un pas rapide, ses chaussures vernies résonnant sur le trottoir. C’était Daniel Whitmore, magnat de l’immobilier, symbole de réussite éclatante. Costume impeccable, allure hautaine, il incarnait la conviction que la fortune n’était qu’une question de discipline et que la pauvreté relevait de l’échec.
À l’angle d’une allée, une silhouette fragile tendait un gobelet en carton. Une femme aux cheveux grisonnants, le regard fatigué, serrait contre elle un carton griffonné : « J’ai faim. » Ses doigts tremblaient quand elle implorait quelques pièces. Les passants détournaient les yeux, certains la repoussaient de leur indifférence, d’autres la soulageaient de quelques centimes.
Lorsque Daniel passa devant elle, la mendiante effleura sa jambe, croyant qu’il s’apprêtait à l’aider. Sa réaction fut brutale : un mouvement de pied pour l’écarter, accompagné d’un grognement méprisant. Le gobelet chuta, les pièces roulèrent sur le sol, et des murmures indignés s’élevèrent dans la foule.
La femme, ébranlée, ne cria pas. Ses lèvres tremblantes laissèrent échapper un seul mot :
— Daniel ?
Ce nom, si familier, fit vaciller l’homme. Mais il refusa d’y croire, serra la mâchoire et continua sa route. Pourtant, le soir venu, installé dans son penthouse luxueux, il ne parvint pas à chasser de sa mémoire ces yeux bruns qui semblaient le connaître.
Car cette mendiante n’était pas une inconnue. Elle était Margaret Collins… autrefois Margaret Whitmore. Sa mère. Celle qui avait disparu quand il n’avait que sept ans, qu’il avait cherchée en vain à travers détectives et dossiers poussiéreux.
Le destin les avait réunis, mais Daniel, aveuglé par son orgueil, avait accueilli ces retrouvailles par un geste de cruauté.