Le soir de notre anniversaire de mariage, mon mari leva son verre avec un sérieux presque théâtral.
Je fis mine de l’imiter, mais un détail me glaça le sang : un geste furtif, sa main vers ma coupe, une lueur étrange dans ses yeux. J’eus la certitude qu’il avait ajouté quelque chose à ma boisson.
Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. L’instinct prit le dessus. Quand l’attention de la tablée se détourna, je fis glisser mon verre et le substituai à celui de sa sœur, assise juste à côté.
Quelques instants plus tard, au tintement des verres, nous bûmes. Elle porta la coupe à ses lèvres, sourit… puis s’effondra. Cris, confusion, panique générale. Mon mari, pâle, feignait la stupeur, comme un homme effaré d’avoir échappé à une mort qui lui était destinée.
Une phrase résonnait dans ma tête, implacable :
« Était-ce donc ça ton cadeau, mon amour ? »
Les secours l’emmenèrent d’urgence. Le silence pesait sur les convives, brisé par sa voix tremblante :
— « Non… ce n’est pas possible… Elle n’aurait pas dû… j’avais bien échangé les verres… »
Mes soupçons devinrent certitudes. C’était moi la cible. Et il avait failli réussir.
Je rentrai avant lui, essayant de retrouver une respiration normale, de contrôler mes mains. Mais lorsque plus tard il s’approcha de moi avec un sourire crispé, demandant :
— « Tu te sens bien ? »
Je répondis calmement :
— « Parfaitement. Et toi ? »
Ce fut mon signal intérieur : rien ne serait plus jamais pareil.
Au matin, à l’hôpital, sa sœur respirait encore, fragile. Le diagnostic tomba : empoisonnement sévère. Quelques milligrammes de plus, et elle n’aurait pas survécu.
Quand je revins à la maison, il osa feindre l’innocence :
— « Comment va-t-elle ? »
Je plantai mes yeux dans les siens.
— « Vivante. Et je me souviens très bien de la disposition des verres. »
Il se figea. Une goutte de sueur roula sur sa tempe.
— « Que veux-tu dire par là ? »
— « Rien… pour l’instant. Mais réfléchis bien à ce que je pourrais raconter. »
Cette nuit-là, il ne ferma pas l’œil. Moi non plus.
Dès lors, je me mis en chasse. Factures, échanges de messages, appels téléphoniques : tout portait sa trace. Et puis ce message, retrouvé par hasard :
« Après l’anniversaire, tout sera terminé. »
Je jouai la comédie de l’épouse parfaite. Souriant aux repas, parlant peu, notant tout. Jusqu’à ce soir fatidique, où des coups frappés à la porte annoncèrent la fin de sa mascarade.
— « Monsieur Orlov, vous êtes en état d’arrestation pour tentative de meurtre. »
Il me lança un regard fou :
— « Tu m’as trahi ? »
— « Non. Tu t’es trahi toi-même. Moi, je n’ai fait que survivre. »
Deux mois plus tard, il pourrissait en prison. Tout semblait étrangement calme. Jusqu’à cet appel : il exigeait de me voir.
Face à moi, derrière la vitre froide, il murmura :
— « Tu as cru que c’était toi la cible ? Tu te trompes. C’était elle. Ma sœur. »
Je restai figée. Il continua, presque amusé :
— « Regarde son téléphone. Elle travaillait contre moi. Elle devait disparaître. »
Je fouillai. Et je trouvai.
Des messages codés, des enregistrements. Un contact récurrent : M.O..
Et cette phrase :
« Si elle ne s’écarte pas, il faudra provoquer un accident. Mon frère a besoin d’un coup de main. »
Mon univers chancela. Elle, ma belle-sœur, avait aussi conspiré… contre moi.
C’est alors que je pris une décision. Je contactai M.O., sous une identité inventée.
— « Vous cherchez une cliente ? »
— « Une partenaire, peut-être. »
Il me jaugea longuement, puis acquiesça.
Je ne voulais plus être victime. Je devins joueuse. Stratège. Dans l’ombre, je pris ma place.
Et une nuit, face à ma belle-sœur, je lâchai :
— « Je sais tout. Toi et ton contrat sur ma tête. »
Elle blêmit.
Je souris.
— « Bientôt, tu comprendras ce que ça fait, quand ton verre n’est plus le tien. »
À l’aube, elle avait disparu. Moi, je m’étais métamorphosée.
Désormais, j’étais une force qu’on redoutait.
Mais un jour, une enveloppe anonyme arriva. Dedans, une photo de moi. Et trois mots tracés à l’encre noire :
« Tu n’es pas la première. »
Alors je compris. Derrière M.O., derrière tous ces jeux de pouvoir, il y avait plus grand. Plus ancien.
Et que ma partie… ne faisait que commencer.