Ma belle-mère a profité d’un moment d’inattention pour fouiller dans le paquet posé sous le sapin — celui qui m’était destiné. Mais dès qu’elle a entrouvert la boîte, son visage s’est vidé de toute couleur. Ce qu’elle venait de découvrir n’était clairement pas censé tomber entre ses mains.

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Quand le père de Serenya lui confie un superbe cadeau de Noël avec une consigne claire — ne l’ouvrir qu’au matin — elle est loin d’imaginer que Mirabel, sa belle-mère, mettra la main dessus avant elle. Sauf que l’avidité de Mirabel va déclencher un enchaînement qu’elle n’avait pas vu venir… Un Noël avec, au passage, une pointe de karma.

Noël, pour moi, c’était le refuge.
Les guirlandes qui clignotent comme des lucioles, le parfum des biscuits épicés, la résine du sapin qui imprègne les rideaux, les mugs brûlants de chocolat, et ces petits cadeaux qui font battre le cœur sans raison.

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D’habitude, cette période me réparait.

Mais cette année… tout sonnait faux.

Papa s’était remarié au printemps, et Mirabel, sa nouvelle femme, avait réussi en quelques mois à transformer notre maison en un endroit où je marchais sur la pointe des pieds. Elle n’était pas monstrueuse au sens caricatural. Elle était plus subtile, donc plus dangereuse : le genre de personne qui te caresse du regard pour mieux te griffer avec les mots.

Elle savait piquer sans avoir l’air d’y toucher.

— *Oh Serenya… tu comptes vraiment sortir comme ça ? Je dis ça pour toi, hein, mais… revois ta tenue.*
— *Ton père t’offre toujours tout. Il t’a habituée à être gâtée… ça ne durera pas éternellement.*

Et elle souriait en disant ça. Toujours ce sourire lisse, trop parfait, qui donnait l’impression que si tu protestais, c’est toi qui devenais la méchante.

Moi, je ravalaissais.

Pour Papa.

Il semblait heureux, sincèrement. Et après la mort de ma mère, dix ans plus tôt, nous n’avions été que lui et moi pendant si longtemps… Je me répétais que je pouvais supporter Mirabel. Au moins le temps qu’il soit bien.

J’y croyais. Jusqu’à une semaine avant Noël.

Ce soir-là, Papa m’a fait signe de le suivre dans le salon. Il avait ce regard à la fois sérieux et pétillant, comme quand il prépare une surprise et qu’il est fier de lui.

Dans ses mains, une boîte splendide, enveloppée d’un papier doré qui accroche la lumière. Un ruban de velours rouge, épais, noué impeccablement.

Je crois que j’ai retenu mon souffle.

— Serenya, m’a-t-il dit doucement, cette année… j’ai quelque chose de particulier pour toi.

Je sentais déjà mes doigts vouloir défaire le ruban.

— C’est quoi ? ai-je demandé, incapable de jouer la détachée.

Il a souri, mais derrière son sourire, il y avait comme une hésitation. Une ombre brève.

— Une surprise. Mais j’ai besoin que tu me promettes quelque chose.

— D’accord… quoi ?

Son ton s’est fait plus ferme, presque solennel :

— Tu ne l’ouvres pas avant le matin de Noël.

Il a posé la boîte dans mes bras comme si elle contenait quelque chose de fragile.

— Laisse-la sous le sapin. Quand tu la verras, pense à moi. Je serai en déplacement, mais je t’appellerai tôt. Je rentrerai dès que possible.

J’ai hoché la tête, trop touchée pour contester.

— Promis. J’attends.

Il a effleuré mes cheveux, puis m’a embrassé le front.

— Merci, ma chérie. C’est important.

Pendant une seconde, j’ai cru voir de la tristesse dans ses yeux. Comme s’il portait un poids qu’il n’arrivait pas à déposer. Puis il est parti préparer sa valise, et j’ai mis le cadeau sous le sapin, à la place la plus visible, comme un petit soleil au milieu des branches.

Le lendemain, Papa est parti.

Et le matin de Noël, je me suis réveillée avant le réveil, le cœur déjà debout. Puis la réalité m’a rattrapée : Papa ne serait pas là au petit-déjeuner. Ce serait Mirabel et moi. Juste nous deux. La perspective m’a serré l’estomac.

Je me suis redressée d’un coup.

— *Allez, Serenya… au moins, il y a ton cadeau.*

Je me suis glissée hors du lit et j’ai descendu l’escalier en silence.

Sauf qu’en bas… j’ai entendu un bruit. Un froissement discret. Comme du papier qu’on malmène.

Mon sang s’est glacé.

Je me suis avancée, et je l’ai vue.

Mirabel était agenouillée devant le sapin.

Pas en mode « émerveillée ». Non.
En mode « prédatrice ».

Et dans ses mains… il y avait la boîte dorée.

La mienne.

Celle que Papa m’avait demandé de ne pas ouvrir avant le matin.

— Joyeux Noël, Serenya, a-t-elle lancé sans se retourner, d’une voix sucrée qui cachait mal le froid dessous.

Ma gorge s’est nouée.

— Mirabel… qu’est-ce que tu fais ? C’est mon cadeau.

Elle s’est tournée lentement, comme si je la dérangeais dans une tâche légitime. Elle tenait le paquet avec une aisance insultante, comme si c’était à elle depuis toujours.

— Oh… ne fais pas cette tête, a-t-elle soufflé. Ton père te couvre de cadeaux. On va simplement vérifier ce qu’il t’a encore offert.

Je me suis approchée d’un pas, tremblante.

— Papa m’a dit d’attendre. S’il te plaît, repose-le.

Elle a eu un petit rire.

— Attendre ? Serenya… tu es toujours si dramatique. Et puis, soyons honnêtes : tu as déjà tout. Tandis que moi… je sais reconnaître ce qui a de la valeur.

Ses mots m’ont donné la nausée.

— Mirabel, arrête ! Je t’en prie !

Elle a levé les yeux au ciel, comme si mon désespoir l’ennuyait. Puis, d’un geste sec, elle a tiré sur le ruban. Le velours a glissé.

Mon cœur battait si fort que j’en avais mal.

— Non… s’il te plaît…

Le papier doré a craqué sous ses doigts. Le bruit a claqué dans le salon, trop fort dans la maison endormie.

Et elle a soulevé le couvercle.

Mirabel s’est figée.

Son sourire s’est effacé comme une peinture qu’on raye. Ses lèvres se sont entrouvertes, sans qu’aucun son ne sorte. Une pâleur a envahi son visage, rapide, brutale.

Je me suis penchée, incapable de résister.

À l’intérieur, il y avait un petit écrin de velours noir… et une enveloppe pliée en deux.

Sur l’enveloppe, une seule chose : son prénom, écrit de la main de mon père.

Mirabel a avalé sa salive. Ses doigts tremblaient quand elle a saisi la lettre. Elle a déchiré le bord avec précipitation, comme si ce morceau de papier l’empêchait de respirer.

Puis ses yeux ont parcouru les lignes.

Et son visage s’est encore vidé de sa couleur.

Ses lèvres bougeaient, et elle a fini par lire à voix haute, comme si elle n’avait pas le choix.

— *Mirabel… Si tu lis ces lignes, c’est que tu as fait exactement ce que je craignais.*
Elle s’est interrompue, la voix cassée, puis a repris :
— *La semaine dernière, je t’ai entendue parler avec ta sœur. Tu évoquais l’idée de récupérer le cadeau de Serenya pour toi. J’ai hésité à t’affronter. J’ai préféré te laisser une chance de me prouver que je me trompais. Mais ce matin, tu viens de confirmer ce que je redoutais.*

J’ai senti l’air vibrer dans la pièce, lourd et tranchant.

Mirabel a continué, de plus en plus blanche.

— *Tu as manqué de respect à ma fille. Tu l’as rabaissée. Et tu viens de franchir une limite. Ceci est mon adieu. Joyeux Noël.*

La lettre a glissé de ses mains, comme si elle brûlait.

Elle a attrapé l’écrin d’un geste fébrile, l’a ouvert… et je l’ai vue.

La bague.

Sa bague de fiançailles. Celle que Papa lui avait donnée.

Sauf que moi, je connaissais cette bague. Je l’avais vue sur d’anciennes photos, sur le doigt de ma grand-mère. J’avais grandi avec l’idée qu’elle appartenait à notre histoire, à ma mère, à moi… Et quand Papa l’avait offerte à Mirabel, j’avais eu la sensation qu’on m’arrachait un morceau de famille.

Le salon est tombé dans un silence étrange. Même la musique de Noël, qui tournait souvent en fond, semblait avoir disparu.

Mirabel respirait vite, comme si elle étouffait.

Et alors…

La porte d’entrée a grincé.

Mirabel a sursauté si violemment qu’elle a failli faire tomber l’écrin.

— Calen ? a-t-elle soufflé.

Moi, j’ai eu un choc.

— Papa ?

Il était là, dans l’embrasure, un sac de sport à la main. Calme. Trop calme. Le calme d’un homme qui arrive exactement au moment prévu.

Mirabel a bafouillé :

— Je… je croyais que tu étais parti.

— Non, a-t-il répondu simplement.

Il a refermé la porte derrière lui et s’est avancé.

— Je suis resté pas loin. J’avais besoin de voir. De mes propres yeux. J’espérais me tromper.

Mirabel a tenté ce sourire de secours, celui qu’elle utilisait pour retourner les situations.

— Calen… tu comprends mal… je voulais juste…

— Tu voulais juste quoi ? a-t-il coupé, la voix nette. Juste prendre ce qui ne t’appartient pas ? Juste humilier Serenya une fois de plus ?

Elle a ouvert la bouche, mais aucun mensonge ne trouvait la bonne forme.

Papa a regardé la bague dans l’écrin, puis la lettre froissée, puis moi.

— Je t’ai observée pendant des mois, Mirabel. J’ai entendu des choses. J’ai vu Serenya se refermer. Et elle a essayé de me protéger… comme elle l’a toujours fait depuis la mort de sa mère. Mais aujourd’hui, tu as choisi de te révéler.

Mirabel a tremblé.

— Je… j’ai fait une erreur… Calen, s’il te plaît…

— Ce n’est pas une erreur. C’est toi, a-t-il dit. Et je ne peux pas laisser ça continuer.

Elle a pleuré, ou du moins elle a essayé d’en avoir l’air.

— Mais j’aime cette bague…

Papa a eu une expression fatiguée.

— Je sais. Et Serenya l’a aimée toute sa vie. Cette bague appartient à sa famille. Pas à ta cupidité.

Puis il a prononcé les mots qui ont fait basculer le monde :

— Tu fais tes valises. Aujourd’hui. Tu pars.

Mirabel m’a lancé un regard venimeux, comme si j’étais coupable d’avoir respiré. Elle a murmuré des phrases sur des malentendus, sur le fait que Papa regretterait, sur le fait que personne ne l’aimerait « avec sa fille dans les pattes ».

Papa n’a pas répondu à ça. Il a juste répété, sans hausser la voix :

— Pars.

L’après-midi même, elle a traîné sa valise jusqu’à la porte, le visage fermé, le pas rageur.

Quand la porte s’est refermée derrière elle, la maison a semblé… plus grande. Plus légère.

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai respiré comme si l’air était redevenu à moi.

Papa et moi avons passé le reste de Noël ensemble. Rien d’extraordinaire, et c’était justement parfait : des pancakes trop épais, du bacon croustillant, du chocolat chaud, des films qu’on avait déjà vus dix fois, et des rires qui revenaient doucement, comme si on les avait retrouvés dans un tiroir oublié.

Le soir, quand le feu a baissé et que les guirlandes lançaient des reflets d’or sur les murs, Papa m’a tendu une autre boîte, elle aussi emballée d’or.

— Celle-ci… est pour toi. Et uniquement pour toi.

À l’intérieur, il y avait l’écrin. Et une lettre, cette fois à mon nom.

Je l’ai ouverte avec des mains un peu tremblantes.

— *Serenya, tu es la plus belle part de ma vie. Je veux que ce Noël soit un nouveau départ pour nous deux. Je t’aime. — Papa.*

J’ai senti mes yeux brûler.

— Pardon, ai-je murmuré.

Papa a levé la tête depuis le canapé.

— Pardon de quoi ?

J’ai cherché mes mots.

— D’avoir tout gardé pour moi. Je me disais qu’en partant à la fac… tu serais enfin tranquille. Je voulais juste que tu sois heureux.

Il a posé sa tasse, puis il a parlé doucement, comme il le faisait quand j’étais petite et que j’avais peur.

— Je suis heureux quand tu es en sécurité, Serenya. Et je le serai encore plus quand tu arrêteras de croire que tu dois tout encaisser pour me ménager.

Il a souri, mais un sourire vrai, cette fois.

— Cette bague est à toi, désormais. Un jour, quelqu’un de bien la glissera à ton doigt. Quelqu’un qui te mérite. Mirabel n’était pas cette personne-là. Elle ne l’a jamais été.

Et dans la lumière calme du salon, au milieu des restes de papier doré et des odeurs de cannelle, j’ai compris une chose très simple :

Ce Noël-là, je n’avais pas seulement reçu un cadeau.
J’avais récupéré ma place. Mon père. Et notre paix.

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