Rex partageait la vie d’Anna depuis plus de dix ans. Ce n’était pas “juste un chien”, mais son allié, son ombre, son confident silencieux. Au début, lorsqu’il s’était mis à se comporter étrangement, elle avait cru à un simple stress dû à l’agitation du mariage. Mais très vite, elle sentit que quelque chose clochait vraiment.
Anna s’immobilisa. Rex se colla à ses jambes, comme planté là. Il ne montrait pas les crocs, il n’aboyait pas. Il levait seulement la tête vers elle, les yeux profondément ancrés dans les siens, avec une intensité inhabituelle.
— Rex, viens, mon grand, murmura-t-elle d’une voix douce, espérant qu’il obéirait.
Mais le berger allemand restait figé. Autour d’eux, les conversations se transformèrent en chuchotements. Le père d’Anna fit un pas en avant, prêt à attraper la laisse pour dégager l’allée.
C’est alors qu’un grondement très faible sortit de la gorge de Rex. Pas un grondement de menace, mais un son fragile, étranglé. Anna sentit une inquiétude glacée lui remonter le long du dos. Rex n’avait jamais agi de la sorte.
Elle plia les genoux, se plaça à sa hauteur, prit délicatement sa tête entre ses mains et caressa son museau.
— Qu’est-ce qu’il y a, mon cœur ? Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?
En s’approchant, elle perçut enfin sa respiration : saccadée, lourde. Ses pattes tremblaient légèrement. Le monde autour d’elle se brouilla. Elle ne voyait plus ni les invités, ni les fleurs, ni l’autel. Il ne restait plus que Rex, haletant, et ce regard rempli de douceur et de tristesse.
— Rex… souffla-t-elle une nouvelle fois.
À cet instant précis, tout bascula.
Les invités, silencieux, échangeaient des regards perdus. Le marié s’approcha à son tour, visiblement inquiet. Alors Anna se redressa, prit une grande inspiration et déclara d’une voix claire :
— On va à la clinique vétérinaire. Maintenant.
Le temps s’arrêta. La musique, la décoration, la robe blanche soigneusement choisie… Tout fut laissé derrière eux. On aida Rex à monter dans la voiture, les parents suivirent, et le cortège improvisé quitta le lieu de la cérémonie pour se diriger vers l’hôpital vétérinaire.
Le diagnostic tomba comme un couperet : insuffisance cardiaque avancée. Le vétérinaire expliqua qu’il ne restait à Rex que quelques jours, peut-être quelques semaines au mieux. Anna sentit ses jambes fléchir.
— Je ne peux pas faire la fête en sachant qu’il est en train de partir, dit-elle en larmes à son fiancé. Il est de ma famille. S’il te plaît, repoussons le mariage. Je veux rester près de lui jusqu’au bout.
Son futur mari la prit dans ses bras sans discuter.
— Bien sûr. On se mariera plus tard. Ce qui compte, c’est d’être avec ceux qu’on aime.
Plus tard dans la journée, la porte de la salle de soins s’ouvrit. Les parents d’Anna, ceux du fiancé… et même le prêtre entrèrent, un peu intimidés par l’odeur caractéristique de la clinique, mais décidés. Ils tenaient un petit bouquet, les alliances, et quelques fleurs rescapées de la cérémonie interrompue.
— On s’est dit, commença le père d’Anna, que si tu voulais te marier entourée de ceux qui comptent vraiment pour toi… alors c’est ici que ça doit se passer. Que Rex soit avec vous pour ce moment.
Et c’est ainsi que, entre les murs blancs d’une clinique vétérinaire, eut lieu le mariage le plus simple et le plus bouleversant que l’on puisse imaginer. Anna portait une blouse empruntée, le marié avait retroussé ses manches, et au milieu d’eux, allongé sur une couverture, Rex dormait paisiblement, bercé par les voix qu’il connaissait par cœur.
Ils échangèrent leurs vœux en caressant sa fourrure, comme pour lui dire que, jusqu’au bout, il serait au centre de leur famille. Et ce jour-là, ce ne furent ni les décorations, ni le banquet, ni la salle de réception qui restèrent gravés dans les mémoires, mais ce berger allemand, entouré d’amour, qui avait obligé tout le monde à se rappeler l’essentiel.