Mais au lieu de partir, elle s’est avancée d’un pas assuré, a saisi le micro et, d’une voix ferme, a commencé à prononcer un discours qui a bouleversé l’assemblée.

Advertisements    

Svitlana Petrovna s’était arrêtée sur le pas de la porte, entrouvrant à peine, comme pour se faire oublier. Elle n’osait pas déranger, mais ses yeux ne pouvaient quitter la scène. Là, devant le miroir, son fils Sasha, vêtu d’un costume clair et d’un nœud papillon que ses amis l’aidaient à ajuster, ressemblait à un héros de cinéma. Élegant, posé, sûr de lui.

Pourtant, au fond de Svitlana, une douleur sourde s’installait : elle avait l’impression d’être étrangère à cette image, comme si ce mariage n’était pas son histoire, comme si elle n’y avait pas sa place.

Advertisements    

Elle effleura distraitement l’ourlet de sa vieille robe, en se promettant d’y ajouter demain la veste qu’elle avait préparée. Elle avait pris sa décision : elle assisterait à la noce, même sans invitation. Mais au moment où elle fit un pas, Sasha tourna la tête, la vit, et son regard changea. Il s’approcha, referma la porte derrière lui et, d’un ton ferme, lança :

— Maman, il faut qu’on parle.

Le cœur battant, Svitlana tenta un sourire maladroit :

— Bien sûr, mon fils… J’ai acheté de nouvelles chaussures, et puis…

— Arrête. Je ne veux pas que tu viennes demain.

Elle resta pétrifiée, sans comprendre d’abord. Puis les mots se plantèrent en elle comme des aiguilles.

— Pourquoi ?… murmura-t-elle, la voix tremblante.

Sasha détourna les yeux :

— Parce que c’est mon mariage, parce qu’il y aura du monde. Et toi, maman… tu ne corresponds pas à ce que je veux montrer. Je ne veux pas qu’on pense que je viens d’un milieu misérable.

Ces phrases glaciales lui transpercèrent l’âme. Elle balbutia :

— Mais… je vais aller chez le coiffeur, mettre une jolie robe…

— Non. Tu resteras une gêne. Je t’en prie. Ne viens pas.

Et il sortit, sans même attendre sa réponse.

Seule, dans le silence pesant, Svitlana sentit le monde s’effondrer. Elle ouvrit une vieille boîte, en sortit son album de jeunesse, et les souvenirs la happèrent. L’orphelinat, l’humiliation, les privations. Puis Victor, ce jeune homme qui l’avait remarquée, qui avait vu en elle une femme et non une orpheline. Leur amour fragile, balayé par la cruauté des puissants. Son arrestation injuste, la prison, et cette grossesse qu’elle avait portée derrière les barreaux. Sasha. Son fils. Son unique raison de tenir debout.

Les années de labeur suivirent : ménages, lessives, couture. Elle s’était saignée pour lui offrir un cartable, un manteau chaud, un jouet neuf. Elle s’était privée de tout pour qu’il n’ait jamais honte. Et voilà qu’aujourd’hui, c’était lui qui la rejetait.

Mais cette fois, elle décida de ne pas se laisser effacer.

La veille du mariage, elle utilisa ses maigres économies. Coiffeur, manucure, une robe bleue simple mais élégante. Le jour venu, devant le miroir, elle se découvrit différente. Non plus une femme usée par les années, mais une femme digne, debout, avec une histoire.

Quand elle entra dans la salle, tous les regards se tournèrent. Elle marchait droite, le sourire léger, et dans ses yeux brillait une force tranquille. Sasha la vit, blêmit, siffla :

— Je t’avais interdit de venir !

— Je ne suis pas venue pour toi, répondit-elle calmement. Je suis venue pour moi.

Et elle s’assit.

Puis, quand vint le moment des toasts, elle prit le micro. Sa voix tremblait un peu, mais chaque mot portait :

— Je n’ai qu’un souhait pour vous : aimez-vous. Aimez quand tout s’effondre, quand il ne reste plus rien. Aimez sans juger, sans demander d’où l’autre vient. Parce que seul l’amour peut sauver.

Un silence, puis des applaudissements sincères éclatèrent.

Et c’est alors qu’elle le vit. Victor. Les tempes grisonnantes, mais les mêmes yeux. Il s’avança, bouleversé :

— Svitlana… Est-ce vraiment toi ?

Le temps sembla s’arrêter. Quelques phrases suffirent pour que la vérité jaillisse. Elle lui avoua avoir mis au monde leur fils en prison. Il comprit. Et quand il apprit que Sasha était son enfant, il chancela.

Ils sortirent ensemble dans le couloir, Victor, Svitlana, et bientôt Sasha qui les suivait, perdu.

— Maman… qui est cet homme ? demanda-t-il, presque tremblant.

Elle le fixa, digne, les larmes aux yeux :

— C’est ton père.

Alors, dans ce hall où résonnaient encore la musique et les rires, une vérité éclata, simple et nue. Trois vies, brisées par le passé, se retrouvaient enfin. Et tout restait à réécrire — avec la vérité, peut-être même avec le pardon.

Advertisements